Le débat parlementaire vu par Direct-soir

Avec un peu plus d’un million de lecteurs quotidiens, Directsoir et Directmatin s’imposent « comme des titres incontournables de la presse nationale d’information » [1]. En tant que tels, ces deux gratuits endossent une responsabilité particulière dans le traitement de l’information qui, à défaut d’être impartiale [2], se doit de ne pas relayer passivement les mensonges officiels.

Pourtant, l’édition de Directsoir du mardi 17 mars 2009 avait de quoi surprendre en matière d’éthique journalistique. En page 4 figurait ainsi une interview du ministre de la défense, Hervé Morin, interview qui concernait la polémique récente autour du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.

Avant d’en venir aux faits, rappelons que François Fillon, sentant sa majorité particulièrement imprévisible sur le sujet, a décidé d’engager la responsabilité de son gouvernement sur sa politique étrangère comme le lui permet l’article 49-1 de notre Constitution. Cette procédure consiste, pour le Premier ministre, à laisser une alternative aux députés : soit ils lui renouvellent leur confiance et approuvent la politique étrangère, soit ils lui refusent leur confiance et font tomber le Gouvernement. Si d’autres mécanismes permettent aux députés de s’exprimer sur un point précis de la politique gouvernementale (article 49-3 de la Constitution notamment), la procédure de l’article 49-1 empêche, par essence, tout débat sérieux. En effet, la discussion des parlementaires ne pourra avoir qu’une portée théorique (« est-ce bien ou mal ? »), dans la mesure où l’on voit mal les députés UMP voter la démission du Premier ministre. Nul besoin d’être un fin politiste pour comprendre que la donne est truquée : en mettant sa tête sur le billard, François Fillon empêche les députés de se prononcer contre le retour de la France dans l’Otan. Dès lors, fort d’une légitimité réaffirmée, notre Premier ministre pourra dire à qui veut l’entendre que l’Assemblée nationale s’est prononcée pour sa politique étrangère alors qu’elle se sera contentée, en fait, de maintenir le Gouvernement en place…

Le journaliste de Directsoir, souhaitant comprendre ce choix, interroge donc Hervé Morin de la manière suivante : « Si rejoindre le commandement intégré de l’Otan est une évidence, pourquoi passer par l’article 49.1 à l’Assemblée nationale ? »

Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, de la bouche d’Hervé Morin, que le recours à cette procédure « était le seul moyen pour que les députés puissent s’exprimer ».

Je n’aurai pas la naïveté de m’interroger sur les motivations d’un mensonge aussi énorme, mais je ne peux m’empêcher de rager face à l’absence de réaction de l’interviewer. De fait, l’interview passe immédiatement à une autre question comme si cette réponse aberrante contenait les éléments nécessaires à la compréhension de l’évènement.

Il y a aujourd’hui, chez nos journalistes, une tendance particulièrement dangereuse à acquiescer aux réponses des décideurs[3]. Or, par cet acquiescement, les journalistes valident l’information et attestent de sa vérité pour le lecteur ou le téléspectateur lambda qui n’a d’autre choix que celui de s’appuyer sur l’avis de professionnels que sont supposés être les journalistes.

Je savais que Directsoir n’était pas un canard de bonne facture, et si j’avais tendance à le suspecter de propagande, j’en ai désormais la preuve ! A bon entendeur.

Benjamin Francos

[1] : http://jeanmarcmorandini.tele7.fr/article-24694-direct-soir-plus-forte-progression-de-la-presse-quotidienne.html

[2] : Personne n’ignore que M. Bolloré est le propriétaire de ces deux quotidiens.

[3] : On se souvient tous de l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy du jeudi 5 février 2009 au cours de laquelle les différents journalistes se contentaient de poser des questions particulièrement clémentes sans rebondir sur les réponses fournies, s’abreuvant ainsi des gargarismes du Président de la République.

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