Vers « le premier « bénéficiaire rétroactif » d’une loi non rétroactive »

Intéressantes explications de George Moréas, ancien haut fonctionnaire de police, sur les applications sournoises de la rétention de sûreté à des détenus pour lesquels la Cour d’Assises n’avait rien prévu.

Bref rappel.

En 2005, Pascal Clément fait voter une loi instituant la surveillance judiciaire (article 723-29 du CPP), « mesure de sûreté prononcée par les juridictions de l’application des peines qui impose au condamné libéré les obligations du suivi socio-judiciaire, et, pour partie, celles de la libération conditionnelle »*. La durée de la surveillance judiciaire est équivalente aux réductions de peines dont a bénéficié l’intéressé.

Une telle mesure trouvait alors sa justification dans la prévention des risques de récidive s’agissant des personnes condamnées qui présentent toujours, à l’issue de leur peine, une dangerosité particulière.

Cette motivation ne vous est pas totalement étrangère?

Évidemment non, et pour cause: trois ans plus tard, sous l’impulsion du Président Sarkozy, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (cette seconde partie de l’intitulé n’est que trop souvent oubliée!) mettait en place, de façon rétroactive(1), la privation de liberté de criminels ayant purgé leur peine mais qui demeurent particulièrement dangereux à leur sortie de prison.

On se souvient de la polémique qui avait alors agité les parlementaires (toutes tendances confondues), qui estimaient, non sans raison, que cette disposition portait notamment atteinte à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 au terme duquel: « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Saisi, le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une motivation pour le moins étrange, déclarait non conforme à la Constitution le principe de rétroactivité de la rétention de sûreté tout en admettant que celle-ci ne constituait pas une peine à proprement dit.

En toute logique, cela aurait dû signifier, comme tous les médias n’ont eu de cesse de le rappeler à l’époque, que le mécanisme de rétention de sûreté serait inapplicable avant les horizons 2020.

Pourtant, et la décision du Conseil constitutionnel le laissait prévoir, l’application rétroactive de la rétention de sûreté demeure possible.

Ainsi, la loi du 25 février 2008 a également introduit une mesure de surveillance de sûreté (« qui correspond à la surveillance judiciaire (suivi médical, bracelet électronique, etc.) mais qui à la différence de son aînée s’applique à des condamnés qui ont entièrement purgé leur peine » (2) et pour une durée indéterminée puisque renouvelable tous les ans) et qui, on est jamais trop prudent, peut se substituer à la mesure de surveillance judiciaire (article 723-37 du CPP).

Or, la violation des obligations découlant de la mesure de surveillance de sûreté peut entraîner, si elle fait apparaître la dangerosité de la personne concernée, le placement en centre de suivi socio-médico-judiciaire de sûreté (article 706-53-19 du CPP).

En d’autres termes, la mesure de surveillance de sûreté étant d’ores et déjà applicable, la rétention de sûreté jouit bel et bien d’un effet rétroactif en dépit de l’interdiction de la rétroactivité des lois pénales plus sévères.

Et comme le note Madame le Professeur Martine Herzog-Evans (3),  » s’il faut, certes, constater alors une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau » l’une des infractions de l’article 706-53-13, en revanche, il n’est pas nécessaire de prouver « un trouble grave de la personnalité » (comp. art. 706-53-13 et 706-53-19, al. 3, c. pr. pén.). En outre, la subsidiarité n’est pas reprise à l’article 706-53-19, alors qu’elle est assez lourde dans le cadre d’une rétention de sûreté ab initio. La nature « exceptionnelle » de la mesure disparaît également. Point non plus, et sauf meilleure interprétation des JRRS, de la réserve interprétative du Conseil, tenant au constat de ce que l’intéressé aurait été dûment soigné en détention. C’est sur des bases aussi légères que l’on pourra donc enfermer durablement, voire perpétuellement, un grand malade, en se satisfaisant de ce qu’il recevra des soins et sera neutralisé à la fois ».

Et Madame Herzog-Evans de continuer en nous fournissant un cas concret à partir de l’histoire de M.X , malade mental condamné à 20 ans de réclusion pour viol aggravé. Libéré après 17 ans en dépit de sa dangerosité demeurée intacte (sic), le préfet décide de procéder à une hospitalisation d’office et le juge d’application des peines à placement sous surveillance judiciaire. Cette dernière mesure venant à son terme, le parquet choisit de saisir la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Créteil (JRRS) afin qu’elle prononce un placement sous surveillance de sûreté.

C’est chose faite et M.X est donc provisoirement domicilié à l’hôpital psychiatrique.

Que se passera t-il lorsqu’il sortira et qu’il se trouvera sans domicile? La décision de la JRRS se contente de renvoyer « à celle [l’adresse] qui lui sera trouvée par les services concernés par l’exécution de la présente décision ».

Alors que l’on sait que M.X est malade et que le suivi régulier de son traitement est une condition indispensable à la prévention d’une éventuelle récidive, celui-ci risque de se retrouver à la rue, sans suivi socio-psychologique approprié et donc, inévitablement, dans les conditions idéales pour violer les obligations de la surveillance de sûreté qui lui auront été imposées.

« M. X sera donc le premier « bénéficiaire rétroactif » d’une loi non rétroactive » (4).

Benjamin Francos

(1): Des individus condamnés par une Cour d’Assises avant la promulgation de la loi auraient donc pu se voir appliquer ses dispositions et ce, en dépit du fait que la loi de février 2008 prévoit expressément que la mesure de rétention de sûreté doit être prononcée par ladite Cour d’Assises à l’occasion de la condamnation.

(2): George Moréas

(3): Recueil Dalloz 2009 p. 2146

(4): George Moréas

Une Réponse

  1. True words, some true words dude. Totally made my day.

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