HADOPI : Pas de sanction sans juge.

CREDOF Centre d’Etudes et de Recherches sur les Droits Fondamentaux – Université Paris-Ouest – Nanterre La Défense

Actualités droits-libertés du 11 juin 2009 par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS


I – HADOPI : Pas de sanction sans juge.

Le Conseil constitutionnel a le 10 juin 2009 censuré une partie du pouvoir de sanction conféré à la « Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet » (HADOPI) par la loi soumise à son examen. Cette nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) avait notamment reçu le pouvoir de suspendre l’accès à internet de toute personne qui aurait procédé à des téléchargements illégaux, et plus largement aurait méconnu les droits de la propriété intellectuelle.

En précisant que « le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis », le Conseil constitutionnel n’entend pas déclarer l’inconstitutionnalité de tout pouvoir de sanction conféré aux AAI. Il exige seulement que le législateur définisse de tels pouvoirs dans le respect des principes constitutionnels.


Ainsi, les sanctions prévues en cas de violation d’un droit ou à une liberté constitutionnellement garanti, en l’occurrence le droit de propriété (art. 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée à d’autres droits et libertés constitutionnellement garanti – ici la liberté de communication des pensées et des opinions (art. 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789)-, et doivent également respecter le principe de la légalité des délits et des peines, la présomption d’innocence ainsi que les droits de la défense. Le Conseil précise que ces principes sont « applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnel ».


En l’espèce, le Conseil constitutionnel, se faisant observateur des évolutions technologiques et sociales, estime « qu’eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ». Si le législateur peut « édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer », l’étendue des pouvoirs de sanction conférés en l’espèce par la loi à l’HADOPI, « qui n’est pas une juridiction », conduit à une atteinte disproportionnée à «  l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ». Le législateur ne pouvait donc confier «  à une autorité administrative », « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions », le pouvoir de restreindre ou d’« empêcher l’accès à internet de titulaires d’abonnement ainsi que des personnes qu’ils en font bénéficier », d’autant plus que ce pouvoir avait été conféré à l’égard non pas seulement d’« une catégorie particulière de personnes mais » de « la totalité de la population ». Seule une autorité juridictionnelle peut être compétente pour la mise en œuvre de tels pouvoirs.


La conséquence de cette déclaration d’inconstitutionnalité est que l’HADOPI n’accomplit dorénavant en matière de sanction qu’«un rôle préalable à une procédure judiciaire ». Le Conseil ajoute alors au moyen d’une réserve d’interprétation que, lorsque dans ce cadre, l’HADOPI traitera de données à caractère personnelle, elle devra se soumettre aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et donc au contrôle de la CNIL.

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/2009/decisions-par-date/2009/2009-580-dc/decision-n-2009-580-dc-du-10-juin-2009.42666.html

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