Eric Besson, le Droit, le juge et la morale

Dimanche 10 mai, Eric Besson dévoilait en quelle estime il tient la place du juge dans notre société: zéro, comme la crédibilité du GISTI (v. Décret relatif à la défense des droits des étrangers en rétention suite…).

En effet, le ministre d’ouverture a signé, en dépit de la demande du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, le marché relatif à l’attribution des centres de rétention. Pourtant, comme le rappellent Serge Slama et Mediapart, une directive communautaire en passe d’être transposée prévoit que la saisine du juge emportera, à l’avenir, suspension automatique de la signature du contrat litigieux dont il a été saisi.

Quels enseignements tirer de cet événement? On a d’abord le sentiment qu’il est de plus en plus fréquent que les autorités françaises, sentant le droit communautaire pointer son nez, s’empressent d’adopter des mesures qui y sont à l’évidence contraire. Cette remarque, qui vaut pour la présente situation, s’applique également à la loi instituant la HADOPI puisque le Parlement européen – certes statuant en codécision – vient de (re)voter un amendement qui interdit tout atteinte aux droits des utilisateurs finaux sans intervention de l’autorité judiciaire. En bref, un potentiel camouflet pour le projet porté par la majorité parlementaire.

Il est ensuite particulièrement intéressant que la France, qui prétend être toujours un modèle en matière de droits de l’Homme et qui s’époumone à le faire savoir, abrite une Administration aussi peu respectueuse du droit au juge. De fait, si cette dernière se soumet au droit qu’elle édicte depuis la Monarchie de Juillet, il n’en demeure pas moins que les procédures juridictionnelles de nature à assurer efficacement un tel respect ne sont apparues que très récemment, une quinzaine d’années tout au plus. Pire, c’est la logique même du système qui est pervertie: comment comprendre que l’Administration voie d’un mauvais oeil l’examen, par le juge, de la légalité de ses décisions? La raison d’être de l’Etat n’est-elle pas de protéger le citoyen et de le servir ? Est-il encore concevable, en 2009, qu’un ministre dont la procédure de marché public est en cours d’examen sur le bureau d’un juge administratif puisse néanmoins signer ledit marché?

De là, notre troisième interrogation. Si – et les positivistes[1] ne manqueront pas de le souligner – la directive n’est pas encore transposée et si, dès lors, aucune obligation juridique n’imposait au ministre de surseoir à signer le marché, n’y avait-il pas à tout le moins une obligation morale de sa part? N’aurait-il pas été plus élégant d’attendre la décision du juge, quitte à faire appel si celle-ci ne lui convenait pas? Nous croyons, pour notre part, qu’au-delà du mépris qu’une telle attitude traduit à l’égard d’un magistrat dont la mission est de faire respecter la légalité et, en l’espèce, les procédures de passation des marchés publics – dont on rappelle au passage qu’elles visent, notamment, à éviter une utilisation « inopportune » des deniers publics –, ce comportement porte en lui un message d’une nature bien plus dangereuse: la négation des fondements de notre société.

Il n’échappera à personne que le respect des lois, c’est à dire l’observation par le tout un chacun des obligations légitimement imposées par la vie en société, est à la base de toute vie en collectivité. Personne n’ignore en outre que ces obligations peuvent être d’ordre juridique ou d’ordre moral. A titre d’exemple, la société estime qu’il est normal qu’un jeune témoigne son respect envers un adulte. S’il n’y a rien de juridique là-dedans, il n’en demeure pas moins que l’obligation existe sur un plan moral et que de la pression que le groupe exercera – ou non – sur l’individu dépendra son respect. Dans ces conditions, il est plus que choquant de constater que les gouvernants, qui sont censés donner l’exemple et agir au nom de l’intérêt général, nient la part morale du contrat qui les lie aux citoyens. Sous prétexte que la loi n’est pas encore intervenue dans tel ou tel domaine nous pourrions nous permettre tout et n’importe quoi? Une telle conception de la République ne saurait être celle d’un ministre tant celle-ci est incompatible avec l’idéal républicain. « Res publica », la chose commune! Peut-on sérieusement croire que M. Besson avait le sentiment de travailler à un projet porteur de valeurs fédératrices tout en foulant au pied et les obligations supposées incomber à tout dirigeant, et les principes de la construction européenne, et l’aura et la portée de l’autorité d’un magistrat? Ne se sentait-il pas pas obligé de respecter une certaine éthique qui aurait imposé de retenir sa décision dans l’attente qu’un juge se prononce? J’estime qu’il était tenu de le faire et me permets de rappeler que la séparation des pouvoirs implique qu’une autorité administrative ne soit pas juge de la légalité de ses propres décisions. Or, en prenant de court l’autorité habilitée à statuer sur la légalité de la procédure de passation du marché public de l’aide juridique aux étrangers retenus[4], le ministre de l’immigration a nié la séparation des pouvoirs dont l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 proclame solennellement la nécessité.

Cette politique du fait accompli n’a que trop duré. Il est temps que les hommes qui nous gouvernent changent de méthode. Il en va de la sauvegarde de la démocratie.

Benjamin Francos

[1]: « Dans l’une des nombreuses acceptation de ce terme, le « positivisme juridique » est une théorie du droit « volontariste », autrement dit une théorie qui définit le droit comme le seul droit « posé » par des actes de volonté humaine. Au contraire, tout ce qui se présente comme droit mais n’a pas été posé, le droit naturel par exemple, ne peut être considéré comme du droit. Pour reconnaître que les règles sont juridiques, le positivisme n’examine donc pas du tout leur contenu et il lui est tout à fait indifférent qu’elles soient conformes ou non à quelque idéal de justice » (Jérémie Chiron-Escallier)
[2]: Il ne s’en cache d’ailleurs pas, comme en témoigne son communiqué de presse du dimanche 10 mai consultable sur Combats pour les droits de l’Homme (cf. « en toute légalité »).

Une Réponse

  1. Je tiens à ajouter un dernier élément qui m’avait échappé lors de la rédaction de cette brève: l’ordonnance transposant la directive recours mentionnée dans l’article a été publiée au Journal officiel le 8 mai dernier (deux jours avant le communiqué du ministre).

    Alors, me dira t-on, j’aurais exagéré en affirmant que la France met de la mauvaise volonté à appliquer le droit de l’Union européenne puisque la directive devait être transposée avant décembre et que c’est désormais chose faite!

    Le côté amusant de la chose c’est que si la France fait pour une fois bonne figure en transposant dans les délais, il ne faudrait pas abuser pour autant: l’ordonnance n’est applicable qu’au 1er décembre prochain… Si la procédure tend à améliorer les recours en matière de commande publique, pourquoi repousser à décembre l’effectivité des dispositions de l’ordonnance?

    Quoiqu’il en soit, au moment où Eric Besson annonçait la signature du marché, l’article L. 551-4 du Code de justice administrative dans sa version modifiée (non encore applicable) disposait:

    « Le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle. »

    Pour une présentation globale des faits je vous renvoie vers le blog Combats pour les droits de l’homme et notamment vers un article assez technique, mais néanmoins riche d’enseignements, relatif aux arguments développés par l’avocat de la CIMADE:

    http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/2009/05/03/marche-de-la-retention-les-enjeux-de-laudience-de-refere-precontractuel-du-4-mai-2009-ta-de-paris/#more-1066.

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